Selon la dernière enquête réalisée par BVA, 79 % des salariés ne souhaitent pas devenir managers1 ! Quelles sont les raisons d’un tel désamour ? Philippe Pierre, docteur en sociologie, expert en management interculturel et ancien DRH chez L’Oréal, nous explique pourquoi, selon lui, l’activité de manager, faite de rencontres et d’étonnement volontaire, reste une aventure passionnante.
Fuite des responsabilités, stress, manque de reconnaissance… : les causes de cette désaffection sont nombreuses. “Pour moi, ce chiffre élevé résulte en partie du rejet d’un management passé, directif et pyramidal, dont une large partie de nos contemporains ne veulent plus. Comme si leur envie de devenir managers avait été flétrie…”, précise Philippe Pierre. Les travailleurs souhaitent voir émerger d’autres formes d’organisation, moins hiérarchiques et surtout plus apprenantes.
Autre facteur ? La remise en cause de la centralité du travail dans nos vies. “Avant, dans son travail, on échangeait une sécurité de destin contre une forte implication. Aujourd’hui, on est beaucoup plus mobile, le travail et la famille ne sont plus les seuls centres de notre vie. Un jour, il y a 20 ans, quand j’étais DRH chez L’Oréal, un candidat à un CDI m’a demandé s’il devait venir travailler tous les jours ! Il voulait passer au moins une journée par semaine au sein d’une association caritative.”
Passer du commandement à l'influence
Un renouveau des formes managériales semble donc nécessaire. Renouveau, oui, disparition, non ! Pour Philippe Pierre, l’activité de manager ne disparaîtra pas parce qu’elle est nécessaire à la coordination des tâches et à la reconnaissance des salariés. Mais, au-delà de leurs compétences techniques et relationnelles, les managers semblent de plus en plus attendus sur leur “savoir faire faire” : par exemple, coordonner, constituer des équipes en mode projet et favoriser le travail à distance.
Faire vivre des équipes de plus en plus diversifiées
Autre enjeu pour les managers ? Un défi interculturel ! Être confrontés à des publics qui ont des attentes différentes : rapport à l’autorité, au temps, apprentissage d’une nouvelle langue… “Quand les différences culturelles se renforcent, les managers doivent essayer de sortir de leurs habitudes et faire grandir de nouvelles compétences inattendues, comme l’art du questionnement. Manager est une activité passionnante parce qu’elle nous amène à nous entourer de personnes qui ne nous ressemblent pas, nous déroutent, nous étonnent et nous font grandir.” Créer un espace de parole avec ces différents talents permet de profiter de leur richesse. Car, selon Philippe Pierre, “se laisser questionner est une grande qualité du manager”.
1. Étude réalisée en juin 2017 par l’institut BVA et Audencia Business School auprès d’un échantillon représentatif de 1 001 salariés français.
3 QUESTIONS À
Julien ESTIER, cocréateur de Links (formation, orientation et carrières)
Pourquoi les jeunes n’ont-ils plus envie de devenir managers ?
Parce qu’ils savent que l’augmentation de leur salaire ne sera pas proportionnelle à celle de leur travail, qu’ils ont envie d’avoir une vie à côté de leur boulot et qu’ils perdraient alors de précieux liens avec leurs collègues… Cela ne veut pas dire qu’ils ne veulent plus travailler ! Mais ils ont d’autres attentes.
Lesquelles ?
Les jeunes ne travaillent plus pour une entreprise, mais pour une équipe. L’ambiance et les liens noués avec les collègues importent. La jeune génération est globalement très préoccupée par les conditions de travail : un jeune sur trois serait prêt à changer d’entreprise pour un meilleur environnement de travail2 !
Comment nouer une vraie relation avec cette jeune génération ?
En 2025, les trois-quarts des actifs seront issus de la jeune génération (un tiers seulement aujourd’hui)3. Vous avez raison, un des principaux défis des entreprises, c’est bien de se rapprocher de la jeune génération et de tisser des liens avec elle. À nous d’adopter et de développer des pratiques managériales qui permettent aux jeunes collaborateurs de s’engager et de s’impliquer au quotidien. Qualité du processus d’intégration coaching, intelligence collective, excellence managériale, reconnaissance, co-construction… : remettons la relation humaine au cœur du management !
2. Étude GMR, Live Work Play : millennials Myths and realities, 2016
3. www.journaldunet.com, 2019
"Le manager créateur de relations fortes"
Cassandre Verriest et Mathieu Vandermersch, Baroudeurs de l’Innovation Managériale 2018
“Pendant notre voyage de six mois en 2018, nous avons découvert environ 60 entreprises ou organisations dans 13 pays différents.
Notre regard a changé sur le métier de manager. C’est un super poste au carrefour de l’opérationnel et du stratégique ! Nous avons envie de devenir managers, mais nous voulons vivre ce métier autrement. Manager, pour nous, ce n’est pas donner des ordres ou prendre des décisions. C’est favoriser l’entente et l’harmonie au sein des équipes, c’est guider les collaborateurs, leur permettre de se sentir bien dans l’entreprise et de venir avec le sourire. Bref, c’est leur offrir les moyens de se développer à la fois professionnellement et personnellement : favoriser leur bien-être, leur permettre d’aller chercher leurs enfants à l’école, de mener des projets en parallèle, de faire du sport, etc. On ne devrait pas avoir besoin d’enfiler une veste ou un masque quand on va travailler, on ne devrait pas avoir besoin de changer de personnalité !”