Transformation d'entreprise, territoire et cosmographie avec Maxime Blondeau

Soumis par agathe.renac le

Maxime Blondeau est cosmographe et conférencier. Il est intervenu pour le Grand Tour Nord-Ouest en juin 2023, un événement vers un management à impact organisé par le réseau GERME. Comment la cosmographie et le triptyque imaginaire, territoire et technologie éclaire les mutations managériales et sociétales à venir ? Réponse avec Maxime.

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Découvrez l'intégralité du podcast dont l'interview est tirée par ici (avec Cécile Landreau, Sandrine Deberle et Auguste Coudray).

Qui est l'interviewé, Maxime Blondeau ?

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Maxime est enseignant, conférencier, entrepreneur et cosmographe, il réconcilie les cartes, la technologie et nos imaginaires pour interroger notre représentation collective du territoire. Il est aussi l’auteur d’un livre à venir “Géoconscience, réinventer notre vision du territoire”.

Maxime Blondeau, tu es enseignant, conférencier, cosmographe. Un cosmographe, c'est quoi, c'est un géographe XXL ?

[Maxime Blondeau] C'est un petit peu plus que ça, dans le sens où il y a un travail de représentation du territoire donc graphique. Mais pas seulement géographique. Le territoire ce sont les sites, les lieux mais sont aussi les formes du vivant qui l’habite, qui le transforme, qui le compose. Ce sont aussi de plus en plus les technologies, les infrastructures, que nous superposons, que nous imposons au territoire et qui s'imposent à nous.

C'est un un systémicien le cosmographe ? Quel est le pouvoir de la représentation cosmographique ?

[MB] Oui à la différence près que ça n'est pas qu'un analyste ou un expert technique au sens où je l'entends. C'est aussi un artiste d’une certaine manière, puisqu'on travaille la représentation graphique. On a entendu tout à l’heure la notion de photographie, donc de représentation par l'image d'un sujet, et de la puissance des émotions qui naissent de la représentation graphique.

Alors pourquoi ces émotions sont-elles si importantes ? Et bien parce qu’elles orientent notre attention c'est ce qu'on appelle la valence émotionnelle : il y a des choses qui génèrent de l'émotion autour de nous, d’autres pas. Ce qui génère de l'émotion va braquer notre attention. C'est la balance émotionnelle. Donc le pouvoir de la représentation graphique, que ce soit par l'image, par la photographie, par la carte, par les données, par la comptabilité, par le récit…

C'est l'un des plus vieux sujets du monde depuis la préhistoire. On s'interroge sur ce qui nous entoure et la façon d'interagir avec avec cet univers qu'on ne maîtrise pas ou mal. Je ne suis ni un expert ni un scientifique, donc mon ambition c'est plutôt le développement d'un regard, à mi-chemin entre du conseil, de la science et de l'art.

Tu parles de carence attentionnelle. En quoi ça serait bon pour l'entreprise de gagner en attention sur le territoire ?

Il y en a plus que ça mais on va en ressortir 3 raisons : 

  • la transformation rapide du territoire
  • l'impact de l'entreprise dur le territoire
  • le ressenti spirituel


Les transformations du territoire atteignent une grande vitesse de métamorphose en ce moment. Il faut donc savoir que pour toute relation ou interaction que développe une organisation avec les territoires, du changement est à venir dans les prochaines décennies. Prendre conscience du territoire, c'est prendre conscience des risques, donc c'est prendre conscience de ce qui va changer. Or beaucoup de choses vont changer. Donc le premier moteur pour améliorer sa conscience du territoire, au niveau local et global, peut déjà être l'intérêt particulier. 


Ensuite, il s’agit de comprendre l'impact de l'entreprise sur le territoire, car chacun à notre échelle, individuelle ou collective, on agit sur le monde. Les êtres humains agissent de plus en plus sur le monde, on le transforme, on le dérègle, parfois on le nourrit... Il s'agit justement de mesurer cette action, le but étant que l’intérêt général rencontre l'intérêt particulier.


Il y a aussi une 3e dimension, plutôt de l'ordre du spirituel, cosmologique. C’est quand on se pose la question de comment est-ce qu'on se sent, comment est-ce qu' on vit. Je pense qu’à tout niveau social dans tous les territoires, un grand nombre d'êtres humains aujourd'hui est en train de ressentir le dysfonctionnement, une distanciation, une déconnexion, un mal-être par rapport au monde. Ce ressenti on peut l'écouter.

Les technologies contribuent grandement à nous déconnecter de nos sens, de nos ressentis ?

Les technologies modifient et altèrent notre perception de l’espace et du temps. Depuis la découverte du feu, l’archétype de la technologie, on a changé notre espace au temps et à l’espace en voyant plus loin et plus longtemps. Idem avec les smartphones qui nous tiennent informés et de percevoir le territoire via des notifications.

L’anthropologie nous montre que la technologie altère notre perception et notre relation à l’espace et au temps, mais elle ne nous dit pas si c’est en bien ou en mal. Ces technologies transforment ce rapport là, on peut aussi bien abîmer le territoire que le soigner. La technologie a ce pouvoir de braquer les attentions et aussi d’interagir sur notre perception du territoire. La technologie n’est pas par nature un canal de déconnexion.

Quels seraient tes conseils pour que les managers influent sur des retours aux sources sensoriels ?

La première piste, est elle est à la fois de l’ordre de la politique de RH et de culture d'entreprise, c’est de réfléchir à la relation corporelle, organique, sensorielle qu’ont leur employés et eux-même au territoire. Comment est-ce que les employés, les équipes qui font cette entreprise, vivent le territoire ? Sont-ils en plein air, en intérieur ?

Cette logique de sensorialité, pour moi c'est un préalable à une réflexion réelle sur la relation d'une entreprise avec un territoire. Mais c'est pas si simple à mettre en place en pratique parce que ce qui nous coupe de la relation au territoire, ce sont des couches et des couches d'infrastructures techniques. Si on prend le système de transport, par exemple j'habite à Vannes et je suis à 45 minutes de mon travail, on peut regarder les infrastructures techniques qui me permettent de me déplacer d’un lieu à un autre. Ça peut parfois être assez paradoxal comme avec le cas de la Bretagne. C’est la région de France avec le plus de plus grand nombre de kilomètres de pistes cyclables et pour autant les individus y ont plus de deux véhicules par famille parce que les déplacements en voiture sont indispensables pratiquement partout sauf dans certaines grandes villes comme Rennes ou Brest qui ont des transports en commun.

Ce que je veux dire par là c'est que les infrastructures techniques, et donc la programmation qui va découler de l'urbanisme, de l'ingénierie, des politiques publiques ou des investissements faits sur notre territoire, nous programme. Cela crée des filtres, des écrans entre nous et le territoire. Donc c'est pas parce qu'une entreprise se dit “Je veux reconnecter mes employés au territoire” qu’elle arrive à le faire si facilement. Il y a une réflexion en amont à faire. C'est pour ça que j'aimais bien tout à l'heure cette idée que l'entreprise a un rôle à jouer dans le territoire. Pas seulement pour son intérêt particulier, mais surtout parce qu’elle va contribuer à la construction d'une relation collective au territoire. En ce sens, l’entreprise va avoir un rôle majeur sur la mobilité dans une petite ou moyenne ville. Elle va pouvoir contribuer à mettre en place ces infrastructures techniques qui nous programment, et qui programment le territoire. Si en amont on se place comme valeur cardinale l'idée qu'il faut qu'on améliore et qu'on réconcilie notre relation humaine au territoire (et aussi au vivant), on voit que les décisions qu'on va prendre pour être bien différentes.

Et de préférence collectivement ?

Pas forcément. L'intérêt général s’aligne sur l’intérêt particulier, c’est ça qui est génial. Alors que l’inverse n’est pas toujours vrai. C’est aussi pour ça qu’il y a des renoncements, des compromis à trouver.

Je suis manager, je commence par quoi si je veux agir sur la responsabilité sociétale de mon entreprise ?

Par utiliser des cartes. La cartographie est un langage qui, par construction, va orienter notre regard sur la relation avec le territoire. Prenons par exemple une PME à Redon qui travaille dans l'entretien de bureau. On peut se dire comment cartographier mon rapport avec le territoire ? Où sont mes flux ? Où je me fournis ? Où habitent mes employés ? Quel est l’impact de mon activité sur le vivant (pollution) ? Bien que le ROI de prendre ce temps ne soit pas immédiat, situer géographiquement une activité permet de construire une alliance avec le territoire plutôt que de l’exploiter, de le considérer.

Il faut considérer la Nature comme un sujet plutôt qu’un objet en entreprise, quelle est la différence ?

L’objet ne va pas avoir de comportement agissant qui nous transforme, c’est plus un outil dont on trouve une utilité pour habiter, pour nous nourrir. Alors que si on considère le territoire comme un sujet, qui nous transforme, dont nous dépendons, qui nous traverse, ça nous aide à aller vers un rapport au territoire de collaboration plutôt que de domination, c’est ce qu’il y a de plus vertueux.

Il est devenu vital d’améliorer collectivement notre représentation du territoire. On parle ici de quelque chose spirituel ?

Oui parce que l’humanité ne va pas durant le XXIe siècle être complètement anéantie, comme on peut l'entendre parfois dans des films cataclysmiques type “Don’t look up” où un astéroïde va nous détruire en un claquement de doigts. Je ne crois pas à cette idée-là, je crois en revanche que par effet de système, nous sommes en train de creuser une dette et d'affaiblir les fondements sur lesquels nous développons nos cités, nos sociétés, nos familles. Je pense qu'on va survivre quoi qu'il arrive aux défis qui sont devant nous, mais plus tôt on réagira, plus tôt on commencera à construire le triptyque dont je vais parler, le mieux ce sera. 


Je parle souvent de ce triptyque qui a été inventé par le GIEC pour le climat mais qui est en fait applicable à la biodiversité, à l'économie circulaire, au rapport au territoire en général. Il faut : 

  • atténuer, ça veut dire limiter son impact et commencer à prendre conscience de ce que l'on fait au territoire
  • s'adapter, c'est-à-dire changer et commencer à comprendre qu’un certain nombre de liens qui nous unissent au territoire et qui sont les conditions d'une activité pérenne vont s'affaiblir voir s'atténuer
  • protéger, parce qu’in fine ce qu'on veut c'est que nos enfants et les générations qui nous suivent vivent dans un monde qui soit agréable et qui soit propice à leur épanouissement 


Ce triptyque est pour moi un enjeu systémique progressif mais auquel on doit contribuer dès aujourd'hui .

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