Olivier Hamant a participé en octobre dernier à la première Grande Rencontre Territoriale de GERME, en région Sud-Est. Il présente les différentes leçons que les managers peuvent tirer de la connaissance du “monde du vivant.” Passionnant !
L'interviewé
Olivier Hamant
Olivier Hamant est biologiste et directeur de recherche à l’INRAE, au sein de l’École normale supérieure de Lyon, ainsi que directeur de l’institut Michel Serres. Il a publié une centaine d’articles scientifiques sur la biophysique et le développement des plantes, montrant notamment comment les plantes utilisent les forces pour percevoir leur propre forme. Ce sujet de recherche pose aussi la question de la robustesse du vivant sous un angle nouveau.
À quelles mutations les managers doivent-ils faire face aujourd’hui ?
Tous les acteurs économiques, et pas seulement les managers, vont devoir abandonner la fiction d’un monde stable, aux ressources abondantes, pour ancrer leur action dans la réalité : nous vivons dans un monde incertain par bien des aspects, aux ressources finies, ou le “tout fluctuant” devient la norme. Dans un tel contexte, la robustesse doit remplacer la performance.
Pour quelles raisons ?
La quête de la performance conduit à atteindre un objectif avec le minimum de moyens. Elle est indirectement à l’origine de la plupart des dérèglements climatiques, comme les méga-feux ou les inondations, mais aussi l’effondrement de la biodiversité ou les pollutions globales. La robustesse cherche à maintenir un système viable sur le long terme. Dans la performance, on s’enferre dans la voie étroite et toxique de la croissance et de la productivité. En développant sa robustesse, on renforce son adaptabilité à un contexte mouvant, incertain.
Que nous raconte de ce point de vue le monde du vivant ?
Avec ses milliards d’années d’évolution, il nous raconte une histoire qui n’a rien à voir avec les interprétations simplistes des travaux de Darwin, selon lesquelles seuls les plus forts survivent. Darwin n'a jamais rien affirmé de tel ! Sur le temps long de l’humanité, les organes les moins développés ont pu devenir les plus utiles. Chez les ptérodactyles, le pouce ne servait pas à grand-chose. Il est devenu le principal organe préhenseur de l‘homme. Darwin dit en substance : “le vivant n’optimise pas, il est adaptable”. Le vivant construit des équilibres grâce à des forces contraires.
Pouvez-vous nous donner un exemple ?
Les plantes poussent en freinant, c’est-à-dire en résistant à la pression de l’eau qui fait gonfler leurs cellules. L’homme lui aussi sait utiliser ces forces contraires dans ses réalisations : un pont suspendu tire son autonomie mécanique vis-à-vis du vent de l’opposition entre des piliers en compression et des câbles en tension. Il sera viable malgré les fluctuations, c’est-à-dire robuste.
Comment traduire cette leçon du vivant dans les modes d’organisation de notre économie ?
Les organisations ont besoin de débats contradictoires, de temps, j’irais jusqu’à dire d’incohérence pour être au service de l’intérêt général. Il va nous falloir apprendre à coopérer plutôt qu’être en compétition. Le spécialiste du management Simon Sinek explique qu’au contraire d’un jeu fini - une partie de football, avec ses règles, sa durée, l’objectif de victoire assigné aux joueurs - l’économie est un jeu infini. Elle n’a pas de règles fixes, hormis les lois. Elle n’a pas de durée déterminée. Elle accueille sans cesse de nouveaux joueurs. Dans une telle configuration, l’objectif n’est pas de vaincre mais de continuer à jouer, donc d’être robuste et adaptable.
Quelle application récente de ce principe de robustesse vous a le plus marqué ?
La convention citoyenne pour le climat. 150 citoyens volontaires mais tirés au sort, comprenant des climatosceptiques, ont débattu et travaillé 9 mois avant de rédiger 149 propositions pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, qu’ils ont approuvé à 96%. Aléatoire, hétérogénéité, incohérences ont construit de la légitimité, de l’audace et de la puissance. Malgré le recadrage par le pouvoir, cela reste une expérience exemplaire.
Quel est l’intérêt pour les managers de développer la robustesse de leurs équipes ?
Le pouvoir rend impuissant. En passant du statut de meneur à celui de facilitateur, le manager rend l’action et les interactions de son équipe plus intéressantes, plus diversifiées et créatives. Il diminue l’anxiété, les risques de burn-out ou d’ennui chez ses collaborateurs. Il devient puissant.
Comment savoir si son organisation est robuste ?
Il suffit de faire un test de robustesse, c’est-à-dire faire fluctuer virtuellement le prix de l’énergie, l’approvisionnement d’un fournisseur ou une subvention de l’Etat. Cela permet de voir immédiatement que c’est dans son tissu social proche que la robustesse émerge, et doit être renforcée.
Que retenez-vous de la première des Grandes Rencontres Territoriales de GERME, à laquelle vous avez participé ?
J’y ai rencontré des managers prêts à se former jusqu’à se déformer, animés de réflexions foisonnantes, riches, ouvrant le champ des possibles. Chercheur sur le vivant, j’espère avoir semé quelques graines dans ces esprits très ouverts et féconds.
Un mot de conclusion ?
N’ayons pas peur d’abandonner la performance. Elle coûte cher. Il n’y a pas grand-chose à regretter du monde de la performance. Le monde de la robustesse qui s’ouvre est à la fois pragmatique et engageant. Nous entrons dans l’ère de la richesse des interactions.