Elsa Godart : le management humaniste

Soumis par teclib le

« Faire le pari de la sincérité »

 

Elsa Godart est docteur en Philosophie, en Psychologie, et intervenante Germe. Elle évoque les vertus d’un management humaniste, caractérisé à ses yeux par une quête de soi et une ouverture véritable à l’autre. Entretien.

 

Qu’est-ce qu’un manager humaniste ?

Elsa Godart : Un manager qui a compris qu’à l’heure du digital, des algorithmes prédictifs et du règne annoncé, par certains, de L’Intelligence Artificielle, l’être humain, avec sa singularité, sa diversité, sa créativité, et surtout ses désirs, est au cœur du fonctionnement et de la performance de l’entreprise.

 

Quels désirs caractérisent majoritairement l’être humain contemporain ?

Il est individualiste et hédoniste, mais aussi en quête d’un sens à donner à sa vie, donc à son activité professionnelle. Travailler doit lui apporter gratification et reconnaissance. Il veut pouvoir dire et se dire : j’ai accompli cela, c’est mon œuvre. Pour, à son tour, contribuer à la construction de l’œuvre collective de l’entreprise, le manager va donc devoir permettre à chacun de s’épanouir individuellement, mais aussi donner un cap, fédérer les énergies et les talents autour d’un projet commun.

 

Quel chemin emprunter pour y parvenir ?

Ma conviction est qu’il faut faire le pari de la sincérité, d’abord vis-à-vis de soi-même, ensuite dans sa relation à l’autre.

 

Mais encore ? 

La sincérité implique le respect de la règle des trois « A » : assumer, aimer, apprendre. Le manager doit en tout premier lieu assumer sa personnalité, son identité, sa façon d’être, et s’y tenir. Les valeurs qui le fondent sont celles qu’il prône et applique. Il y a adéquation entre ses pensées, ses paroles et ses actions. Il faut être soi pour avoir confiance en soi, prendre des décisions - ce qui est le propre de tout manager - dans des contextes économiques de plus en plus incertains et imprévisibles, et assumer la responsabilité de ses succès comme de ses échecs. Cette recherche de soi est un travail permanent, car nous sommes tous des êtres en construction permanente. Etre sincère avec soi-même suppose de se « pratiquer », de s’interroger, pour toujours mieux se connaître, identifier ses forces et ses faiblesses.

 

Que recouvrent les deux autres « A », aimer et apprendre ?

Dans toute entreprise, au sens le plus large du terme, il faut de l’amour pour réussir ! Le metteur en scène qui aime ses acteurs, l’entraîneur sportif qui aime ses joueurs, le professeur qui aime ses élèves va obtenir le meilleur d’eux-mêmes et les conduire au succès. Et aimer c’est écouter l’autre, prendre en compte ses attentes, comprendre ses désirs, l’aimer pour ce qu’il est et non pas aimer une image que l’on s’en ferait. Aimer c’est aussi dialoguer. Un dialogue au sens socratique du terme, dans lequel chaque interlocuteur amène l’autre à s’interroger sur ses opinions, ses croyances, le sens de ses pensées et de ses actions. Aimer, c’est encore s’engager vraiment dans la relation à l’autre, lui accorder sa confiance, ce qui implique de prendre le risque d’être trompé, trahi, quitté. Dans une relation sincère à l’autre, rien n’est écrit à l’avance. Enfin, aimer conduit à apprendre. Aimer la vie, s’enrichir de rencontres et de connaissances nouvelles, sans peur de l’inconnu. Cultiver l’étonnement, la découverte, l’envie de savoir. Refuser l’endogamie, la consanguinité sociale, mais au contraire s’ouvrir à la diversité. Apprendre de l’autre.

 

Qu'est-ce que ce management sincère apporte à l’entreprise ?

C’est une vraie richesse pour l’entreprise ! La sincérité dans le management permet d’adopter une posture équilibrée entre autorité et confiance, de tendre vers une sagesse de l’action en transformant en liberté ses contraintes pour faire progresser l’entreprise. Ce choix implique, pour le dirigeant, d’avoir le courage de faire le pari de l’autre en lâchant progressivement les rênes du contrôle. Il permet en retour de libérer l’originalité, l’engagement, le plaisir et l’imagination, la capacité à oser et à prendre des risques de tous les acteurs de l’entreprise. Au final, chacun est habité du sentiment « d’être soi et d’être à sa place », d’accomplir ce pourquoi il est fait, ce qui est dans sa nature profonde. Il est en état d’harmonie, « heureux » comme est heureux un œil qui voit bien ! La sincérité conduit à découvrir ce que j’appellerai « l’évidence » de chacun. En outre, la sincérité appelle la sincérité. En face d’un manager qu’il sait sincère, le collaborateur peut discuter, voire s’opposer, sincèrement lui aussi. Il sait que de part et d’autre il n’y a ni arrière-pensée, ni tentative de manipulation, juste une bienveillance mutuelle.

 

Un mot de conclusion ?

Un manager humaniste, c’est un manager qui cherche sincèrement l’humain en lui, et en chaque collaborateur de l’entreprise. Son attitude, ses comportements, ses convictions, ses mots, honnêtes, inspirent mais n’enferment pas. Il accompagne et guide l’autre « vers ce qu’il est. » Nietzsche, dans un des aphorismes du Gai Savoir, dit : « tu viens sur mes pas, tu veux me suivre ? Suis-toi toi-même fidèlement. »

 

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