La start-up Tissium conçoit et produit un adhésif destiné aux chirurgiens pour réparer les tissus humains, inspiré du mucus des mollusques. Maria Pereira, sa co-fondatrice et chief innovation officer, nous explique comment le biomimétisme a inspiré le parcours de cette entreprise innovante.
Qui est interviewée ?
Maria Pereira, co-fondatrice de Tissium et Chief Innovation Officer.
La nature peut nous servir d'inspiration pour résoudre les problématiques auxquelles nous faisons face."
Une idée révolutionnaire peut parfois trouver sa source pas plus loin que sur une plage, en vacances. C’est en explorant les propriétés adhésives de coquillages comme la balane et l’anatife que Maria Pereira, alors doctorante dans le laboratoire des professeurs Bob Langer et Jeff Karp au Massachusetts Institute of Technology (MIT), a pu contribuer à la formulation d’un polymère destiné à la chirurgie. Toute la difficulté était de parvenir à faire adhérer des tissus humides entre eux. Et justement, la technologie fondatrice de Tissium consiste à colmater et sceller des tissus humains dans un milieu humide par le biais d’un liquide visqueux qui ne s’étale pas et s’active à l’aide d’une lumière bleue.
De la recherche à l'application
“Les pouvoirs adhésifs d’espèces comme le gecko, la balane ou le ver marin Phragmatopoma nous intéressent. Dans un milieu marin, les mollusques secrètent une substance visqueuse qui expulse ensuite l’eau entre les deux surfaces à coller : la coquille et le rocher”, explique Maria Pereira. “Nous avons reproduit ce principe en laboratoire, et c’est pour le développer et l’industrialiser que nous avons fondé Tissium en 2013 à Paris, avec l’entrepreneur Christophe Bancel, aujourd’hui CEO. Déclinable en colle, en produit de scellement, ou imprimable en 3D, la matière peut également stocker un médicament à diffusion lente. Notre innovation peut avoir de très nombreuses applications. C’est à la fois une bénédiction et une malédiction, car, à vouloir exploiter toutes ses possibilités, nous risquions de nous éparpiller. Nous avons fait le choix de nous concentrer sur trois domaines précis : la chirurgie cardiovasculaire, la réparation du système nerveux périphérique et le traitement de la hernie”, poursuit Maria Pereira.
Le biomimétisme : un choix pragmatique
La notion de retour aux sources est en vogue actuellement, mais pour Tissium, innover en s’inspirant de la nature est d’abord un choix pragmatique : “Je pense qu’on peut toujours s’améliorer, et la nature fait partie des sources d’inspiration pour y arriver. Elle nous aide à comprendre le fonctionnement de certaines choses, et à mieux concevoir nos projets. Dans le cas de notre sujet de recherche, le vivant nous a offert des clés pour répondre à notre problématique, dans la limite de nos contraintes chimiques et toxicologiques”, conclut Maria Pereira. Nul doute que la centaine de collaborateurs répartis entre Paris, Roncq (59) et Boston (USA), sensibilisés aux enjeux du biomimétisme, ont toutes les cartes en main pour fiabiliser et étendre les usages de cette innovation de rupture.
Trois questions à Kalina Raskin, directrice générale du Ceebios, le centre d'études et d'expertises dédié au déploiement du biomimétisme en France, qui a pour objectif depuis 2014 d'accélerer la transition écologique et sociétale.
“Ne pas rechercher la performance, mais la robustesse."
Quels sont les principaux enseignements du vivant dont les entreprises devraient s’inspirer ?
Elles doivent être adaptables : c’est essentiel pour pouvoir absorber les fluctuations. Les travaux menés par le chercheur Olivier Hamant indiquent que le moteur de l’évolution, ce n’est pas la recherche de la performance, mais celle de la robustesse. Quand une entreprise veut innover, elle doit se demander si elle peut fonctionner avec les mêmes contraintes que celles que le vivant s’impose : en utilisant les énergies renouvelables, en séquestrant le CO2...
En quoi cela représente aujourd’hui un levier de développement économique pour les entreprises ?
Au-delà du biomimétisme, dessiner une nouvelle trajectoire de transition écologique est un outil de durabilité pour les entreprises. Et ma conviction, c’est qu’une entreprise qui n’est pas durable ne pourra pas subsister. La réglementation va se durcir, les attentes des consommateurs évoluent. Et des études montrent que la transition écologique crée de nombreux emplois.
Quels conseils donneriez-vous à un manager qui souhaiterait s’inspirer du vivant ?
Tout d’abord, de s’acculturer, de prendre conscience de l’intérêt de cette démarche. Puis de se former, expérimenter, discuter avec des acteurs qui ont déjà opéré cette transformation.
Découvrez cet article et bien d'autres dans le magazine GERME !
Saviez-vous que cet article fait partie du magazine "Managers" du réseau GERME ? Retouvez-le dans votre pack d'adhésion avec le cycle de formation Germe ou Emergence et l'accès illimité aux événements GERME. |