Inclusion en entreprise
« Dans l’inclusion, ce n’est pas seulement la diversité que nous cherchons, mais l’unité dans la diversité ».
Loin du paradoxe, Sylvie-Nuria Noguer, coach professionnelle certifiée et intervenante GERME, facilitatrice et autrice du livre Donnez du sens à vos décisions (paru en 2018 aux Éditions Eyrolles), nous explique comment la culture inclusive en entreprise permet de valoriser les différences pour s’unir davantage et mettre l’accent sur ce qui nous relie.
Quelle est votre définition de l’inclusion en entreprise ?
Si l’entreprise est fondée depuis longtemps sur un modèle linéaire et un paradigme mécaniste, je préfère l’allégorie de la nature pour la symboliser et la voir comme un système vivant. Dans la nature, on parle de biodiversité à différents niveaux : la biodiversité des gênes, des espèces et des écosystèmes. Si nous transposons ce concept à l’entreprise, on pourrait dire qu’au-delà de la diversité des personnes – de leur appartenance culturelle, religieuse et sexuelle – l’inclusion désigne la qualité des relations et des interactions entre elles, au sein de l’entreprise et avec son écosystème.
Dans l’inclusion, il ne s’agit pas seulement d’avoir une collection ou une liste à la Prévert de différents profils, mais ce sont bien la qualité du climat intérieur – l’économiste Sumantra Goshal parlait de « the smell of the place » –, et les relations de réciprocité entre les personnes qui importent. Il y a donc quelque chose de symbiotique dans l’entreprise inclusive, où chacun apporte une richesse, donne et reçoit de façon équilibrée. Les relations y sont mutuellement enrichissantes.
Pour vous, finalement, l’inclusion, c’est aller vers l’unité. Pourquoi ?
J’ai à l’esprit cette citation de Djalâl Al-Dîn Rûmi1 : « Vous n’êtes pas une goutte dans l’océan, vous êtes l’océan tout entier dans la goutte ».
L’unité, c’est cette goutte d’eau qui reconnaît la diversité des éléments qui la composent. Autre devise inspirante, celle de l’Europe : « In varietate concordia », unis dans la diversité. «Concordia » signifie l’union des cœurs. Il s’agit bien, dans l’inclusion, de trouver de l’unité dans la diversité à travers cette concorde, cette intelligence du cœur – et non pas de l’unicité, de l’homogénéité, ni de la conformité (un standard à répliquer partout).
Quels sont, selon vous, les bienfaits d’une entreprise inclusive ?
Au-delà du fait que cela la rend plus attractive, notamment auprès des millenials, très demandeurs d’inclusion, je liste quatre bienfaits, non exhaustifs :
- Un meilleur état d’esprit : cela crée un esprit d’ouverture, de curiosité, de bienveillance, d’humanité. Une entreprise inclusive illustre le droit à la différence et crée ainsi un climat de plus grande sécurité émotionnelle. Comme l’a montré Google dans son projet Aristote en 20162, la sécurité émotionnelle (ou psychologique) est « LE » facteur de succès d’une équipe qui gagne : chacun se sent en confiance pour exprimer son point de vue, ses divergences, ses idées les plus farfelues, tout en ayant droit à l’erreur et à la différence. Pour moi, c’est le fondement, le socle d’une entreprise où il fait bon travailler.
- Une meilleure capacité à anticiper : l’entreprise inclusive anticipe mieux les mouvements de l’écosystème, les changements, les tendances. Puisqu’elle reflète la diversité de son écosystème, elle est donc naturellement plus en syntonie avec les tendances de son environnement, plus agile, plus à l’écoute, plus apte à s’ajuster en temps réel à ses changements.
- Une plus grande capacité à la créativité : c’est le corollaire du bienfait précédent : une plus grande capacité à trouver des solutions innovantes, des choses qui ne sont pas standard, à inventer des solutions nouvelles face à des problèmes nouveaux.
- Au final, plus de résilience : à l’instar de la nature, une entreprise inclusive est plus résiliente : une forêt diversifiée est plus résiliente qu’une forêt monospécifique. À souligner : la résilience n’est alors pas un objectif mais bien la résultante d’un état d’esprit et d’une pratique d’entreprise inclusive.
Quel rôle les managers peuvent-ils jouer pour infuser l’inclusion au sein de leur entreprise ?
Pour moi, il y a trois niveaux de granularité, du plus large au plus spécifique, pour développer l’inclusion.
- La culture de l’entreprise : et ce n’est pas simplement des valeurs ou des mots qu’on placarde dans le hall d’accueil ou la salle de réception !
Selon l’éthicien québécois René Villemure, « La culture, c’est ce qu’une entreprise promeut, interdit ou tolère ».
- Ce qui se révèle surtout dans la culture, c’est ce qui est toléré. Quels sont les mots ou les comportements tolérés ? Face à des comportements déviants, sexistes ou discriminants, a-t-on le droit de se positionner, quel que soit son niveau hiérarchique ? Cela est-il encouragé ? Rigole-t-on des blagues sexistes ? Ou peut-on dire à son collègue : « Ce serait bien que tu revoies ta position par rapport à ça, ce n’est pas drôle » ? Les collaborateurs sont tous, à tous les niveaux, artisans d’une culture d’entreprise inclusive. Miroirs les uns pour les autres, ils s’aident mutuellement à se parfaire. Le rôle du manager est alors d’autoriser chacun à dire stop : « Ce comportement-là, cette blague, ce regard, ce mail, ce n’est pas ok ! », de donner la permission-protection à ses collaborateurs de nommer les choses et aussi de lui dire quand lui-même n’est pas aligné. L’inclusion nécessite une vigilance de tous.
- Sa structure : c’est-à-dire des processus, des indicateurs et des dispositifs mis en place par l’entreprise pour faciliter l’inclusion. Par exemple, des journées « Vis ma vie », des expériences pour ressentir ce qu’une personne en situation de handicap éprouve au quotidien (se déplacer en fauteuil roulant, par exemple) ou encore des projets transversaux organisés par les managers avec des « équipes improbables » pour stimuler la créativité. La posture du manager consiste ici à valoriser les différences, à les considérer comme des atouts, plutôt que de les taire ou de les cacher. Il n’y a pas de honte à être différent, au contraire !
- La posture de chacun : au niveau individuel, nous avons tous nos propres croyances. Et il se peut que, malgré notre envie d’être ouvert et non-discriminant, nous ayons quand même des freins systémiques, des habitudes, des biais cognitifs. Nous portons en nous des associations automatiques, presque inconscientes, par exemple, « Les femmes sont plus ceci… » ou « Les gens de telle religion sont plus cela… », bref, des généralisations qu’on doit absolument passer au crible comme au peigne à poux : est-ce que c’est vrai ? Qu’est-ce que ça fait de moi de croire cela ? Quelle personne ai-je envie d’être ? Comment pourrais-je changer de croyance ? Comment puis-je incarner mes valeurs et celles de l’entreprise ? Comment m’assurer que mes comportements soient alignés avec ces valeurs ? Le fait de révéler les croyances discriminantes, de les nommer et de les remettre en question leur fait perdre de leur puissance.
Vous parliez de « biais cognitifs », qu’est-ce que c’est ?
Les biais cognitifs ont été mis en évidence par les psychologues américains Amos Tversky et Daniel Kahneman dans les années 1970. Ce sont des raccourcis inconscients que fait notre cerveau pour faire sens parmi les milliards d’informations qu’il capte, comme pour faire des économies d’énergie. C’est, en quelque sorte, une façon de gérer l’information à moindre coût.
Le problème, comme pour les algorithmes de Facebook, c’est que ces biais nous font passer à côté de la réalité du monde et de sa diversité, et qu’ils peuvent venir contrecarrer les mesures d’inclusion mises en place dans une entreprise. On recense 150 à 250 biais selon les sources. Il y a par exemple :
- le biais d’associations implicites : stéréotypes inconscients (« Les jeunes sont plus sympas »), mis en évidence par une étude d’Harvard
- le biais de confirmation : ne sélectionner que les informations qui viennent confirmer nos propres croyances)
- le biais de conformité ou l’effet de groupe : se conformer à la pensée de la majorité pour ne pas sortir du lot)
- le biais de l’égocentrisme : difficulté à se mettre à la place de l’autre
- biais de statu quo : "ça a toujours été comme ça"
Nous sommes farcis de biais ! D’où la nécessité de les questionner.
Comment lutter contre les biais cognitifs quand on est manager ?
Il faut avant tout en être conscient, apprendre à les reconnaître et à s’en prémunir. Souvent, ce sont les autres qui, grâce à l’effet miroir, nous aident à voir ces biais et nous bousculent dans nos croyances. La diversité amène encore plus de diversité, c’est une spirale vertueuse. Les managers doivent aussi adopter une posture d’ouverture et éviter de faire des suppositions, comme dans Les quatre accords toltèques de Miguel Ruiz, être inclusifs jusque dans leurs questions et messages, c’est-à-dire offrir différentes possibilités sans présumer de quoi que ce soit : dire « Est-ce que tu viens avec ton conjoint ou ta conjointe ou seul ? » plutôt que « Tu viens avec ta femme ? ». Faire la chasse à ce genre d’idées préconçues.
Auriez-vous d’autres conseils à donner aux managers du réseau Germe ?
Oui, par exemple, dans le cadre des recrutements, le service RH pourrait enlever les noms et les photos des CV et des lettres de motivation avant de les soumettre au manager, ce qui garantirait une égalité des chances pour le premier entretien. C’est, il me semble, un des premiers verrous à faire sauter, il faut être prêt à être surpris ! Je leur recommande également de travailler en collectif dès que possible pour challenger les idées préconçues.
Enfin, n’hésitons-pas à rendre explicite nos craintes, à les questionner : pourquoi « ça ne va pas le faire » ? Quelles sont nos craintes ? Quelles sont nos associations implicites ou nos croyances ? Le rôle du manager, c’est aussi de faire bouger les lignes, de se positionner courageusement comme un acteur de l’inclusion vis-à-vis de ses pairs et de sa hiérarchie, de savoir prendre des risques (par exemple, retenir la candidature d’une personne au profil atypique) et de questionner ses collègues. Il joue un rôle très important dans le changement de culture.
Comment développer justement une culture de l’inclusion au sein de l’entreprise
L’inclusion, c’est un changement d’état d’esprit. Les procédures et les indicateurs sont nécessaires, mais pas suffisants. On a aussi besoin de storytelling positif, de se raconter des histoires de succès qui vont à l’encontre de nos croyances et qui nous donnent envie. Beaucoup de choses ont lieu dans l’intangible. Les prises de conscience et les changements d’état d’esprit se passent dans les interactions fructueuses entre les personnes. Par exemple, des sessions de codéveloppement autour de l’inclusion pourraient être organisées : les managers pourraient partager entre eux leurs difficultés à créer une culture de l’inclusion. Il faut en parler, rendre ces discussions possibles, ouvrir des espaces de partage et de dialogue à ce sujet. Le codéveloppement est l’outil idéal pour cela !
Il faut aussi valoriser les talents et les complémentarités pour faire prospérer l’entreprise, ne pas demander à Beethoven de faire du Mozart. À mon sens, on a besoin de développer l’intelligence du cœur dans les entreprises, non pas seulement par une formation à l’inclusion, mais par du coaching, du mentorat, du codéveloppement, des formations à la Communication non violente (CNV), au management interculturel ou au leadership au féminin… L’intelligence émotionnelle va de pair avec une culture de l’inclusion. Il s’agit de grandir ensemble.
Et vous, vous commenceriez par quoi ?
Le premier signal, c’est qu’il y ait une volonté stratégique réelle et honnête. Moi, je commencerais donc humblement par le comité de direction (Codir) : combien de femmes y a-t-il au sein du Codir ? Combien de personnes de cultures différentes ? Combien de personnes LGBT ? Osent-elles même le dire ?
(1) Poète mystique persan du XIIIe siècle qui a profondément influencé le soufisme.
(2) Vaste étude destinée à découvrir les modèles et principes généraux derrière les équipes performantes.
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