Au-delà de l’enjeu de la parité dans l’entreprise, Véronique Lorgnier, consultante et coach en développement relationnel, intervenante chez GERME depuis cinq ans, propose un leadership polarisé entre masculin et féminin. Zoom sur un nouveau modèle… à construire ensemble !
Quelles sont les valeurs communément assignées au masculin et au féminin ? D’où viennent-elles ?
Dans notre culture occidentale, c’est le psychanalyste Karl Gustav Jung (1875-1961) qui a développé cette connaissance selon laquelle chaque être humain a une part de masculin (« animus ») et de féminin (« anima ») en lui. Par ailleurs, la tradition chinoise parle depuis toujours d’énergies « yin » et « yang », correspondant réciproquement au féminin et au masculin. Ces énergies sont indissociables. Elles s’entremêlent et se soutiennent. Le masculin, c’est plutôt l’énergie de l’action, du faire, le « dehors ». Ses valeurs sont les règles, la loi, la structure, le choix, la force et l’intellect. Le féminin, lui, est davantage lié au réceptif, au ressenti, au « dedans ». Ses valeurs sont la gentillesse, la douceur, la créativité, la joie d’être et l’écoute.
N’est-ce pas dangereux de vouloir tout faire rentrer dans des cases ?
Personnellement, je déteste les cases, c’est souvent faux et contre-productif ! Ces caractéristiques ne doivent pas servir à qualifier une personne, ni une attitude. Mais elles peuvent servir de clés pour mieux comprendre les dysfonctionnements ou les déséquilibres et donc les réharmoniser.
En quoi est-ce utile de tendre vers cet équilibre ?
Les valeurs du masculin et du féminin se sous-tendent l’une l’autre. Par exemple, si je suis exigeant (valeur du masculin) mais que je ne suis pas assez tolérant (valeur du féminin), je deviens un tyran ! À l’inverse, la bonté, si elle n’est pas polarisée avec des limites, ou du courage, peut rapidement devenir une faiblesse. Sans polarité, nos qualités se transforment en défauts. C’est donc plus qu’utile : c’est la seule manière de durer, de prendre soin de soi et d’éviter l’épuisement ! L’équilibre énergétique et psychologique d’un être, sa puissance, résultent en bonne partie de l’équilibre entre son masculin et son féminin.
Comment les managers peuvent-ils utiliser cette clé de compréhension ?
À une époque où de plus en plus de jeunes recherchent un management coopératif, inclusif, et aussi des règles du jeu claires et respectées, cette clé me semble indispensable. D’ailleurs, ils sont souvent assez à l’aise avec cette idée d’une part de masculin et de féminin en chacun. En revanche, les plus anciens adhèrent moins… et, pourtant, ce sont souvent eux qui managent ! Pour diriger ou manager, il est donc essentiel de comprendre et d’incarner cette polarité. La première étape consiste à balayer devant sa porte. Un manager doit d’abord travailler à sa propre harmonie et interroger son désir de puissance.
Et ensuite, comment appliquer ces principes dans leur équipe ?
Pour incarner cet équilibre masculin/féminin au quotidien, le manager doit polariser systématiquement les valeurs qu’il souhaite encourager : à chaque valeur masculine (par exemple, la prise de risques) doit correspondre une valeur féminine (par exemple, oser montrer ses faiblesses) ; et à chaque performance individuelle doit correspondre une performance collective. C’est un tableau à deux colonnes. On a tort de penser qu’on atteindra un but en étant uniquement hyper exigeant sur le rythme, la cadence, la précision ou la quantité de travail (valeurs du masculin). Cela risque d’entraîner, au contraire, de la démotivation, du stress, de la frénésie, voire, dans le pire des cas, une perte de sens ou le départ de certains collaborateurs... À l’inverse, imaginer l’atteindre seulement grâce à l’écoute, la bienveillance, la tolérance et la créativité (valeurs du féminin) est aussi un leurre ! Tout est question d’équilibre.
Vous parliez d’inclusion, comment la définiriez-vous ?
L’inclusion est un processus, un mouvement, elle prend du temps. C’est aussi un sujet majeur : comment inclure l’autre dans nos systèmes ? Il existe de nombreuses fractures d’inclusion dans notre société. Pourtant, si un groupe ne sait pas inclure du nouveau, de fait, il dégénère. C’est la loi de la vie ! Recruter des collaborateurs qui nous ressemblent est une illusion liée au sentiment d’urgence : on croit que l’on travaillera plus vite et que l’on sera plus efficace… Il y a encore beaucoup à déconstruire en la matière !
Pour en savoir plus :
Éloge de la connivence hommes-femmes, Véronique Lorgnier, paru en 2014 aux Éditions Dangles